Le second disque historique de la section Archival series, qui a permis à l'époque de rendre enfin ses travaux accessibles au plus grand nombre. Ce fameux disque sortira d'abord en 1992 au Japon sur le label Eva, mais deviendra trés vite sold out, au point qu'il se vendit des fortunes en import. Sa réédition fut donc une aubaine pour tous le monde, le public pouvant enfin découvrir les oeuvres de Zorn a moindre prix, et le label Tzadik pouvant décoller financièrement afin de pouvoir financer d'autres artistes, chose qui sera faites avec brio, le label allant tout doucement vers son millier de références.
Les souvenirs d'enfance et la facilité d'impressioner un enfant peuvent provoquer des dangers érotiques, la révélation de sentiments profonds enfouis au fond de soi. John Zorn a connu ce moment en 1965. A 12 ans, en l'absence de ses parents, son frère ainé l'emmene dans un petit cinéma obscur du West village de Manhattan ou il allait découvrir deux films qui allait autant l'étonner que le rendre perplexe et l'effrayer, mais qui changeront sa vie : "Flaming creatures" de Jack Smith et "Chant d'amour" de Jean Genet.
Jack Smith est une des figures marquantes du cinéma underground américain. Sa notoriété et son importance dépasse le cercle du cinéma expérimental, dans la mesure où il a influencé de manière prépondérante par ses performances, le théâtre américain de la fin des années 60. Flaming Creatures déclencha dès ses premières projections l’ire de la censure aux États Unis et il fût longtemps interdit (Jonas Mekas et Ken Jacobs furent arrêtés en 1964 pour avoir voulu le présenter publiquement). Flaming Creatures est tourné sur du 16 mm périmé. Un film rare et réputé pour son aspect novateur et choquant. Un film sexuel et sexuellement déviant où se mêlent orientalisme, vampirisme, tremblement de terre et travestis dans une quasi unique séquence d’orgie homosexuelle dionysiaque. Censuré pour son caractère pornographique, le film tire pourtant plus du côté de la tragédie grecque. Mais il marqua le jeune Zorn qui rencontra d'ailleurs par la suite Smith, avec qui il appris la possibilité de "faire de l'art à partir de rien". Ce dernier mourut prématurément à Manhattan à 57ans des suites du virus du sida.
Jean Genet est le Gainsbourg trash de la littérature française. Orphelin de naissance, antisocial, trés tot délinquant, c'est en prison où se cristallisent ses tentations homosexuelles ainsi que toute la liturgie de domination/soumission, la hiérarchie masculine et virile et la féodalité brutale qui en découlent aux yeux de Genet. C'est aussi incarcéré qu'il commence à écrire son oeuvre qui defrayera la chronique dans une France timide marqué par la seconde guerre mondiale. Ses romans sont censurés dés leur sortie, notamment "le journal du voleur" qui est l'autobiographie des errances de l'adolescence de l'auteur (qu'on retrouve en extrait dans "Elegy"). Encensé par la suite par Sartre et Cocteau, il connait une gloire parisienne qui lui permet de faire son unique film "chant d'amour". Un trés beau court métrage en noir et blanc que je recommande, montrant l'histoire de deux prisonniers voisins de cellule qui imagine et fantasme leur amour homosexuel. Un film qui ne sortit que 25 ans aprés sa création, car dans les 50's, l'homosexualité était considéré comme une déviation sexuelle et sa manifestation publique était passible d'emprisonnement. Jean Genet sera trés vite déchu de sa gloire éphémère : Antisémite (voir pro-nazi), provocateur, toxicomane, Genet, jusqu'à la fin, vit dans des chambres d'hôtel sordides, souvent près des gares, ne voyageant qu'avec une petite valise remplie de lettres de ses amis et de manuscrits. Le 15 avril 1986, rongé par un cancer de la gorge, l'écrivain fait une mauvaise chute la nuit dans une chambre d'hôtel parisien et se tue. Jean Genet vient de mourir comme il avait vécu, dans l'errance et la solitude.
Aprés la vision de son film, John Zorn découvrit ses oeuvres littéraires dans sa jeunesse, et décida donc en cette fin d'année 1991 de rendre hommage à l'un de ses héros, et l'un des meilleurs écrivains mondiaux à ses yeux. Le compositeur est à San Francisco à cette période, il vient de finir la production du 1er album de Mr Bungle. Le fait de ne pas être à NY metta Zorn dans l'obligation de trouver des collaborateurs différents de ces habitudes, ce qui pouvait apporter un souffle nouveau à l'oeuvre. On retrouve donc deux de ses amis qui navigue entre cote est et ouest (David Shea et William Winant) aux platines et percussions respectivement, Barbara Chaffe à la flute, David Abel au violoncelle (qu'il connait par l'intermédiaire de Ben Goldberg), David slusser aux effets (qui sortira un disque sur Tzadik), et enfin Mike Patton et Trey Spruance (chant/guitare) avec qui il vient de bosser.
"Elegy" est une composition beaucoup plus intuitive et impressioniste que ces précédentes compositions "file card" (rédigé via des fiches et des recoupements comme Spillane, Godard, etc...). C'est donc un croisement entre l'improvisation des Games pieces et le coté "Operesque" de la musique de chambre auquel on a le droit. Le seul mot d'ordre était de garder l'atmosphère et la saveur du monde mystérieux et subversif que propose les romans de Genet. C'est brillament réussi, du moins à mes yeux. Chamber music sombre à grand renfort de violoncelle et flute, intimiste et langoureux, puis des explosions noise à coup d'effets et de hurlements. On pense parfois à Pierre Boulez, le coté pornographique en plus comme s'amuse à le penser Zorn. Une oeuvre singulière Zornienne de bon gout à découvrir, tout comme les lectures de Jean Genet...
samedi 23 mai 2009
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