dimanche 26 mars 2017

JOHN ZORN - In the hall of mirrors

John Zorn nous rappelle dans le livret que l'ensemble Piano / Basse / Batterie est l'un de ses préféré dans le jazz, en citant de nombreuses références, courant de Bud Powell à Bill Evans, en passant de Chick Corea à Duke Ellington. Le concept du disque est simple : une partie de piano déterminé autour de solides partitions, ou gravite autour une section rythmique qui improvise. Plusieurs compositions avec une batterie improvisée avaient déjà été composé par le passé, mais le principe de créer un set complet pour un trio qui pourrait jouer dans des festivals de jazz européens ou dans des clubs continuait de titiller le compositeur new yorkais. C'est ainsi que sont nait les compositions de ce "In the hall of mirrors", un digisleeve à l'artwork bien psychédélique l'accompagnant. Le disque a été composé avec à l'esprit Stephen Gossling au piano, un "maniaque" selon Zorn (on imagine le pire quand on connait Zorn lui même) et l'un des meilleurs pianistes au monde. Accompagné du fidèle Greg Cohen (Masada) et l'un des meilleurs improvisateurs à la basse, on assiste aussi à la première incursion de Tyshawn Sorey à la batterie en disque studio, un jeune black d'une trentaine d'année avec un niveau monstrueux, certainement un futur ténor de la batterie pour le monde du jazz à en devenir. Le résultat nous donne six superbes compositions de Jazz, par moment posé, et dans des ambiances beaucoup plus sauvages et improvisées. L'enregistrement ne durera qu'une journée, une récurrente chez les musiciens Zorniens, mais qui étonne toujours, prouvant leurs incroyables niveau technique, dextérité et dévouement à sublimer les compositions de Zorn. Durant le session de mixage, Cohen déclarera "il s'agit du jazz du futur"...

JOHN ZORN - Fragmentations, prayers and interjections

Ponctué par un artwork signé par John Zorn lui même (il nous avait déjà sortis exactement la même thématique sur un disque de la composer serie), "Fragmentations, Prayers And Interjections" présente le second volet des nombreux disques, qui devraient paraitre au cours de l'année, retraçant le marathon scénique et artistique que s'est offert John Zorn en septembre 2013 pour son soixantième anniversaire, et comme il l'avait déjà effectué dix ans plus tôt pour fêter ses cinq décennies. Après son récital donné à l'orgue un peu plus tôt, ce nouveau disque issu d'un concert enregistré le 25 septembre 2013 au Miller Theatre de New-York, soit deux jours après celui à l'orgue à la St Paul's Chapel, se démarque de son prédécesseur par le type de formation proposée : un orchestre philharmonique. Depuis Aporias: Requia for Piano & Orchestra et sa pochette Francisbaconienne en 1998 et What Thou Wilt en 1999-2010 (on y reviendra), Zorn s'était en effet limité en matière de mouture classique à des ensembles plus réduits, à l'image du quatuor à cordes constitué de Jennifer Choi et Fred Sherry sur Magick (2005). En somme, une longue attente pour une surprise de taille.
L'album réunit ainsi quatre compositions jouées par l'Arcana Orchestra sous la direction de David Fulmer. La première, Orchestra Variations, fut commandée en 1996 par l'orchestre philharmonique de New York, tandis que celle qui clôt le disque, Suppôts et Suppliciations, le fut par l'orchestre symphonique de la BBC en 2012. Du premier thème avant-gardiste, si l'auditeur averti pourra difficilement négliger les insertions burlesques Texaveryiennes, ces variations lui évoqueront également un autre hommage, grindcore cette fois-ci, mené par deux musiciens justement proche du saxophoniste alto : le chanteur Mike Patton et le bassiste Trevor Dunn et le Suspended Animation (2005) de Fantômas.
A propos des deux autres thèmes suivant, le Zornologue sera en terrain connu. Contes de fées ouvrait déjà What Thou Wilt enregistré en 1999, mais paru seulement onze années plus tard. De même, Kol Nidre eut droit à plusieurs versions antérieures, une sur String Quartet et deux sur le double album Cartoon S&M entre 1999 et 2000. En guise de transition, l'ironique Contes de fées, porté par le violoniste Christopher Otto, évoque d'une certaine manière la dualité du précédent, le ludisme en moins. Et les stridences et autres ambiances cauchemardesques de ce conte zornien peuvent être perçues avec le déchirant Kol Nidre, comme les éléments d'une seule et même pièce dramatique. Lente plainte nostalgique bercée désormais par un orchestre après le quatuor à cordes de 1999, ces huit minutes tel qu'on pouvait s'y attendre y gagnent en émotion et en profondeur.
Inspiré du dernier recueil de textes rédigé par Antonin Artaud peu avant sa mort, Suppôts et Suppliciations est la pièce maitresse et finale de Fragmentations, Prayers And Interjections. Zorn compose et tisse une toile aux multiples facettes entre douleur, révolte et mysticisme, où apparait par moment le fantôme d'un Stravinsky durant les moments les plus ombrageux et théâtraux. Composition spectaculaire en écho avec la dernière œuvre d'Artaud, le new-yorkais désarticule les structures, exacerbe une tension constante, cette dernière étant savamment entretenue par quelques déflagrations et déchirures aussi inattendues qu'explosives.