Sholem Aleichem, écrivain russe juif écrivit un grand nombre de romans, nouvelles et pièces de théâtre, principalement en langue Yiddish (langue couramment parlée mais méprisée en littérature), faisant ainsi de lui une figure de proue de la littérature Yiddish. Il connut ensuite de très dures étapes dans sa vie, en marge du succès d'estime de ses œuvres, une ruine personnelle du à une spéculation boursière, la mort tragique de son fils et une contraction à la tuberculose. Il mourut en 1916, et l'hommage de la communauté juive fut sans précédent : 100 000 personnes assistèrent à son enterrement dans le queens, et l'homme possède une place à son nom dans la 33eme rue de Manhattan, NY (et en sus, 2 monuments à Kiev et à Moscou)
Sur les bons conseils de Oren Rudovsky (réalisateur qui collaborera pour ses œuvres sur les filmworks XIV et XVIII entre autres), le réalisateur Joseph Dorman contacta Zorn afin qu'il écrive la musique de son documentaire sur l'écrivain juif. Le premier réflexe du compositeur fut de répondre "pourquoi moi ?", ce dernier connaissant l'écrivain Yiddish, et étant persuadé que la musique virerait Klezmer et clarinette (et effectivement, Frank London ou David Krakauer serait plus approprié). Mais le réalisateur expliqua qu'il voulait mettre en avant le coté plus sombre de la vie et des travaux de l'auteur russe. Si Zorn explique les rouages de la mécanique des musiques de documentaire (aider les transitions, ajouter de la tension, jouer sur le dramatique), il explique aussi que les fonctions musicales sont secondaire dans son procédé, et que l'utilisation de sa musique dans le cadre du film lui est indifférent, ce qui est surprenant. Mais de toute façon, il est de notoriété publique que John Zorn est le plus "punk" des compositeurs de films : il ne rencontre pas le directeur/réalisateur avant l'enregistrement, et n'écoute personne pour la composition (à moins d'allonger un solide tas de billet sur la table, et encore...). Il propose juste assez de musique pour couvrir les scènes, fournit l'enregistrement, et débrouille toi pour la suite...
John Zorn fera appel à des bons camarades à lui puisque qu'on retrouve le Masada string trio sur cette bande son, déjà responsable de plusieurs opus sur Tzadik, et Zorn les dirigeant très souvent au "bâton". Mais la clé de cette bande son unique a été d'inclure Carol Emmanuel à la harpe et Rob Burger à l'accordéon sur tous les morceaux, formation à 5 musiciens donc. Le tout sonne avec une rare cohésion et une ambiance splendide. les 12 titres regorge d'influence, de Bernard Hermann à Astor Piazzolla, avec des réminiscences de Tango. Mais on retiendra surtout l'atmosphère Yiddish qui se dégage de l'ensemble, rendant ainsi parfaitement une forme d'hommage à Sholem Aleichem. de "Shalom, Sholem !" et sa gaieté, jusqu'au plus sombre "mekubolim", on reste soufflé par tant de grâce, aussi bien au niveau de la composition que de l'interprétation impeccable des 5 membres. Les plus érudits d'entre vous auront reconnut un standard de jazz (interprété par Duke Ellington a priori) "caravan", qui s'est transformé en "portable homeland" dans une version Yiddish. Zorn est un peu gonflé de ne même pas l'avoir signalé, on en saura pas plus sur cette dérobade...
"Sholem Aleichem", on n'en saura pas plus sur ce documentaire au final, qui est malheureusement la aussi assez underground. Mais le filmworks XX s'inscrit dans la tradition Zornienne des grands disques de qualité, fait avec goût, distraction et passion. Et nul doute que l'auteur russe aurait été fier de l'héritage musical d'un grand contemporain juif qui rend hommage à la culture Yiddish...
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