samedi 2 octobre 2021
PAMELIA KURSTIN - Thinking out loud
Le theremin détient un pouvoir de séduction lié à sa conception même. Il fut créé au début des années 20 par Léon Theremin (il perfectionnait en fait une invention de Lee De Forest datant de 1915), soit à une époque où le cinéma était encore en noir et blanc, et pas encore tout à fait parlant. A cette époque antédiluvienne Robert Moog lui-même (qui en reprendra la fabrication dans les années 60) n'était pas encore né. Le theremin a littéralement une aura mystique, son fonctionnement étant basé sur les ondes magnétiques, ne nécessitant pas de contact direct, mais une maîtrise du mouvement de ses mains comme on caresse l'invisible, comme on effleure une vague de chaleur au-dessus d'un feu. Et pour couronner le tout, le son produit est étrangement proche de celui d'une voix humaine, dont le timbre évoluerait dans des aigus surnaturels. L'un des seuls instrumentistes à s'être illustré sur cet instrument peu conventionnel fut Clara Rockmore (violoniste de formation). Cette virtuose est vite devenue mythique, mythe tenant au fait qu'il n'existe que de rares documents sonores de ses prestations (du fait sans doute de la difficulté d'enregistrer et de restituer correctement les sons produits par un tel appareil). Le theremin sera ensuite beaucoup utilisé dans des films de science-fiction de série B. Il est également célèbre pour l'usage qu'en ont fait les Beach Boys sur "Good Vibrations". Ces enregistrements épars, utilisant essentiellement le caractère futuristico-exotique de l'instrument, achèveront d'installer la légende. Aussi, avec Thinking Out Loud de Pamelia Kurstin, un album publié par Tzadik entièrement dévolu à ce fameux theremin, on ne peut qu'être conquis d'avance. Le titre de l'album (Penser tout haut) s'appuie sur cet aspect toujours singulièrement mystérieux, un instrument que l'on ne touche pas, mais auquel on transmet ses pensées musicales, comme par télépathie. Avec Thinking Out Loud Pamelia Kurstin relève haut la main (forcément) le défi de nous enchanter en restituant les sonorités féeriques attendues tout en y apportant sa touche (pardon, son effleurement) personnelle. Le premier titre "London" joue totalement, et magnifiquement, sur ce registre de voix humaine aigue. Si Pamelia Kurstin s'était contentée de ce registre, Thinking Out Loud aurait tenu ses promesses enchanteresses, mais serait sans doute tombé dans l'admiration béate et finalement rébarbative. Mais Pamelia Kurstin ne souhaite aucunement être un phénomène de foire, encore moins la réincarnation de Clara Rockmore. Nulle "reconstitution historique" ici, Pamelia Kurstin exploite les multiples possibilités de l'engin et les étend grâce aux technologies actuelles, notamment à l'utilisation de pédales d'effets, de boucles et l'adjonction de quelques parties de guitare et de piano. Sur "Eschschloraque" elle entrelace les aigus divins par échantillonnage et mises en boucles, puis dévie peu à peu dans un univers "bruitiste", quelque part entre un solo de guitare Fender et les larsens de "Pendulum Music" de Steve Reich. Plus loin, "Edinburgh" intègre quelques pulsations vibratoires, une sorte d'accompagnement à la basse, pour des circonvolutions synthétiques, puis des boucles grinçantes et des décompositions sonores dignes de l'ère du laptop. La longue pièce finale "Tonic" (plus d'un quart d'heure), enregistré en concert, prouve encore que ce travail ne repose pas sur des artifices de studio, mais bel et bien sur l'improvisation, en jouant en direct avec les différentes possibilités de manipulation. Sur "Tonic" Pamelia Kurstin installe à nouveau un flux musical composé de boucles de notes de theremin, comme extirpées d'un violon, ou d'autres d'une basse électrique, et de drones électroniques. On retrouve là une approche qui évoque les travaux de David Behrman, l'un des pionniers de l'interaction entre musiciens et informatique en temps réel. (Chronique Neosphères)
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