samedi 5 avril 2014

JOHN ZORN - Lemma

16eme volume des chambers works de John Zorn sur la composer serie dédié cette fois ci au violon. Artwork de nouveau par Zorn. Je donne l'avis (ça m'arrive de temps en temps) de quelqu'un d'autre, je n'ai pas apprécié le disque, il m'a relativement gonflé...

Source : the beautiful downgrade

Attention ! Ce Zorn ci fait peur à beaucoup. Ce n’est pas celui qui cajole les oreilles de douces mélopées où se rencontrent klezmer, jazz, americana, etc. Non, ce Zorn ci donne dans la complexité, dans la recherche aussi, il exprime la facette contemporaine d’un compositeur toujours aussi multiple, jamais vraiment là où on l’attendrait malgré l’immense diversité de son catalogue.
 
En l’occurrence, un instrument est mis à l’honneur sur ce Lemma : le violon. Et trois instrumentistes, (mais pas le « régulier » Mark Feldman, sans doute occupé alors à d’autres explorations) : David Fulmer, Chris Otto et Pauline Kim. Et trois sections distinctes habitant les 17 pistes de la livraison : Apohthegms, Passagen et Ceremonial Magic.

On commence par Apophthegms duo de violons entre David Fulmer et Christopher Otto, progression en douze courtes vignettes dans les méandres du cerveau Zornien à son "avant-gardissime" soit une musique se jouant de la mélodie (plus qu'en jouant) pour produire des effets, des impressions, des émotions différentes. La partition, en l'occurrence, n'épargne pas les bizarreries d'usage à l'auditeur même s'il lui arrive, c'est heureux, de s'apaiser jusqu'à évoquer furtivement Bach ou Bartók. Pas simple tout ça mais diablement attirant et, en définitive, réussi.

Suit Passagen et ses 14 massives minutes. Et quelle beauté ! Pas besoin de plus qu'une violoniste précise et passionnée telle que Pauline Kim pour habiter cette pièce pour laquelle Zorn avoue s'être inspiré de quelques œuvres de grands compositeurs ayant dédié une partie de leur art à l'instrument qui nous intéresse ici (le violon, donc, et, nommément, Bach, Paganini, Bartók et Carter). On reste, ceci dit, en Zornerie l'inspiration étant plus stylistique qu'harmonique... Et c'est parfait comme ça !

Last but not least, Ceremonial Magic, déjà présent dans une version rythmée dans Music And Its Double (avec Kenny Wollesen à la batterie), déjà joué alors par David Fulmer dont la maîtrise instrumentale et le feeling ne se démentent pas ici. Pas une découverte, donc, que cette suite en quatre mouvements, juste la confirmation de la grâce déjà entendue et ici confirmée mais pas forcément la pièce à la marge entre précision compositionnelle et improvisation échevelée qu'il nous avait semblé entendre précédemment tant la réplique présente s'approche au plus près de l'enregistrement originel.

On ne le niera pas, ce Zorn là, le Zorn contemporain, en déstabilisera certains. De fait, il faut connaître cette grammaire musicale, cet esprit à la fois revêche  et ludique, cette volonté régulièrement réaffirmée de ne pas simplement "faire" pour pleinement goûter au festin présentement offert. Quoique les moments de pure grâce soient, finalement, suffisamment nombreux pour offrir une porte d'entrée viable à cet univers ô combien particulier.

JOHN ZORN - Music and its double

15eme volume des travaux de chamber music de John Zorn. Avec le temps, on peut légitimement penser qu'il apprécie de plus de plus les travaux de ce type : plus mystique, plus technique, plus réfléchie, plus exigeant, plus captivant, "plus"....L'abandon récent des filmworks, la réduction des projets plus extrêmes ou les concerts diminuant tendent à nous le confirmer.

Alors on aime ou on aime pas, mais les disques se multiplient assez rapidement. "Music and its double", soit la réponse non voilée à l'œuvre d'Antonin Artaud "the theatre and its double", figure artistique archi-récurrente dans l'œuvre zornienne (qui a du influencer au moins une dizaine de ses disques). Trois compositions sont au programme. Premièrement "A rebours", composé en 2010, commissionné par Charles Wuorinen, et dans laquelle on retrouve pas mal de musiciens habitués des musique de chambre du gourou new yorkais (on compte dans les rangs William Winant, Fred Sherry, Jennifer Choi, David Fulmer, etc....le tout dirigé par Brad Lubman). 10 musiciens en tout, pour une pièce qui retrouve le côté ésotérique de "magick" ou "rituals" de cette même section. Hommage appuyé à Ligeti, les onze minutes présentes sont captivantes de bout en bout...

"Ceremonial magic", composé en 2011, écrite pour un duo batterie/violon même si une variation au violon seul devrait peut être voir le jour. David Fulmer et Kenny Wollesen prennent place dans le studio de Marc Urselli pour interpréter les 20 minutes du titre, découpé en 4 plages. Hyper technique, assez frappé, voila une prestation qui doit être hallucinante en live, mais qui fatigue un peu sur le long terme en studio, comme ce genre de prestations l'exigent. quelques mots clés cité par Zorn : incantation, moments d'hypnose alterné à une transe avec des aspects cérémonial. Tout un concept...

"La machine de l'être" composé en 1999, interprété pour la première fois à l'opéra de NY début 2011, est inspiré des dessins d'Artaud fait durant ses dernières années lorsqu'il sera interné à l'asile de Rodez. 12 minutes intenses qui explore le dramatique et l'émotionnel, composé ici pour une cantatrice soprano et un large ensemble orchestral. Pas de paroles présentes, mais des variations de voix plus ou moins intenses dont l'apogée interviens au final, la cantatrice Anu Komsi déclara d'ailleurs à Zorn que la pièce ne pouvait pas être plus longue car trop intense. Étrangement enregistré en Finlande et conduit par un orchestre inconnu des services new yorkais, Zorn ne livre pas d'explications la dessus. Une pièce folle et cathartique, assez classique des travaux du compositeur pour la composer serie.

Artwork exécuté par John Zorn, c'est assez rare donc on peut le signaler, il faut savoir apprécier l'art abstrait...

JOHN ZORN - Filmworks XXV

Je ne pourrais pas cette fois çi me fendre du petit texte d'intro habituel pour les filmworks : démarré en 1986, publié à partir de 1995 sur Tzadik et depuis 2008 sur mon modeste blog, ce volume vingt cinquième du nom sera à priori le dernier. La décision est tombé un peu comme un couperet et a du en étonner plus d'un. Mais John Zorn se justifie pleinement dans le livret accompagnant le disque : la création des bandes sons de films l'intéresse moins qu'à ses débuts, et il se servait de ce prétexte durant des années pour convier les musiciens et enregistrer en studio assez rapidement une musique différente, accessible, mélodique, moins exigeante techniquement et surtout très spontanée. Mais après toute ces années, puis l'enregistrement de projet comme the dreamers ou l'Alhambra love songs, le saxophoniste a réalisé qu'il n'avait plus besoin d'excuses extérieures pour enregistrer ce genre de musique. Ajoutons à cela les difficultés de communication et d'entente avec certains réalisateurs (ou pire leur entourage), voila schématiquement ce qui aura eu raison de la motivation du compositeur à composer des bandes sons de films...

Pour finir par un compte rond ou par superstition numérologique (allez savoir...), Tzadik a donc fouillé les cartons pour réunir les morceaux de 3 projets différents, mais qui ont la particularité de tous avoir été composé au piano solo. En premier lieu, différents petits courts métrages sur l'ouverture du premier musée juif de Moscou, dirigé par Oren Rudavsky, réalisateur proche de Zorn avec qui une collaboration sur deux filmworks passés. 2012 était une année hyper booké pour John Zorn mais il n'a pas eu le cœur de dire non à un vieil ami ; de par la teneur des images historique en noir et blanc, le new yorkais a de suite pensé à du piano solo. Seul bémol, après plusieurs coup de fils passés, aucun pianiste du cercle Zornien n'est disponible dans les prochains jours (certainement dans les rangs Rob Burger, John Medeski, Jamie Saft, Uri Caine, Sylvie Courvoisier...), reste deux options : le jouer lui même (mais ses compétences sont limités dixit lui même) ou abandonner le projet. Puis petit coup du destin : Zorn était invité à un concert de jazz au Guggenheim museum le lendemain et décida d'y aller en journée pour voir le groupe répété (il confesse d'ailleurs que ces nuits sont consacrés à l'écriture et à la composition) face à la belle journée printanière en traversant central park à pied. Une fois sur place, il découvre Omri Mor, jeune pianiste israélien dont il a beaucoup entendu parlé et il est scotché par sa technique et son feeling unique. Une fois branché, le rendez vous en studio est pris quelques jours après et 14 titres sont enregistrés, tous superbes et lyriques. Zorn sera particulièrement conquis, il annonce d'ailleurs l'enregistrement futur d'un book of angels du trio du pianiste pour mi-2013 mais ça n'a pas pu se faire à priori...

Ensuite, Marc Levin, autre réalisateur déjà habitué des filmworks demanda à Zorn quelques titres de Masada en licence pour son nouveau documentaire sur NY "Schmatta", puis ce dernier lui improvisa au piano trois titres lors d'une session rapide le 15 juin 2009. Le style assez sombre et lunaire de Zorn au piano est assez classique du genre, pas incontournable, avouons le. Puis pour finir un titre inédit interprété par Rob Burger "Beyond the infinite" qui n'avait pas trouvé sa place sur le disque "The goddess"

Comme on dit dans le cinéma, "rideau" sur les filmworks. Nous verrons en fait par la suite et au fur et à mesure des nouveaux travaux Zornien si la série nous manque ou pas. Elle nous a offert cependant de superbes moments musicaux et c'est surtout cela que l'on retiendra...